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Billet d’humeur

par Oleg

Introduction :

Une fois n’est pas coutume, je lance aujourd’hui un débat dont le sujet me laisse pantois. En effet, en tant que numismate, je me pose aujourd’hui la question de l’avenir de nos collections. Que doit-on en faire au soir de notre vie, la transmettre mano à mano à un de nos enfants, la vendre, ou laisser nos ayants droit la vendre après notre départ. Si ces questions surgissent maintenant, ce n’est pas parce que mon âge me préoccupe mais parce qu’un internaute avec qui j’ai échangé au sujet d’une de ses monnaies, d’un intérêt historique rare, connait aujourd’hui des mésaventures.

Les faits :

Juste avant l’été 2018, monsieur P. m’envoie un mail via notre page contact, pour me proposer une monnaie à identifier. Il m’explique qu’il n’arrive pas à trouver des infos sur une monnaie qui vient d’un lot que son épouse a reçu en héritage, suite au décès quelques années auparavant, de son grand-père originaire du sud de la France, lot qui était composé de monnaies modernes des XIXè et XXè siècles et une petite monnaie d’or que Monsieur P. pensait être une monnaie d’origine islamique. Monsieur P. avait déjà vendu à l’unité les modernes sur un grand site d’enchères, et souhaitait identifier et donc estimer la petite monnaie d’or, dernier témoignage du leg de l’aïeul de son épouse.

Je lui demande donc de m’envoyer des clichés de bonnes factures à des fins d’examen. Les photos reçues, je me mets en recherche, j’avoue qu’il m’a fallu quelques jours avant de comprendre et de trouver, au regard de ses légendes rétrogrades avers et revers, qu’il s’agissait d’un solidus d’or carolingien au nom de Charlemagne frappée à Uzès1. Fort de cette découverte, je réalise et transmet une fiche explicative complète à monsieur P., afin qu’il comprenne sa monnaie, et surtout réalise l’intérêt historique hors du commun et la rareté réelle de son solidus, connu à moins de 5 exemplaires à ce jour.

solidus au nom de charlemagne à légendes rétrogrades (Au-23mm-3g30) frappé à Uzès entre 768 à 814,

Très heureux des résultats de ma recherche et de mon identification,  monsieur P. décide de faire appel à un professionnel de grand renom pour inclure son solidus, estimé à plusieurs dizaines de milliers d’euros, dans un catalogue de vente aux enchères, largement diffusé par le biais d’internet.

Le catalogue publié, un éminent employé au médailler de la BNF, et quelque peu zélé, interpelle les services de douane afin de faire retirer de la vente et confisquer le solidus de monsieur P. le déclarant « trésor national »2.

Aujourd’hui monsieur P. est privé de sa propriété, purement et simplement sans compensation aucune, et la monnaie a intégré le fond de la BNF.

Monsieur P. se voit aujourd’hui contraint de justifier, auprès des douanes et de la BNF, la provenance de la monnaie pour espérer une restitution.

Les questions que ce fait soulève :

Comment un pays comme la France, terre de droit par excellence, peut-il avoir deux législations ? Monsieur P. se retrouve aujourd’hui littéralement accusé de posséder une telle monnaie, et doit se justifier, malgré la présomption d’innocence, et une loi qui est claire sur le fait qu’il appartient à l’accusation de prouver la culpabilité de l’accusé. L’état est-il au dessus des lois qu’il promulgue pour TOUS ? Quel bel exemple !!! D’autant que les musées ont pour eux un droit de préemption sur les ventes aux enchères, qui leur permet d’acquérir prioritairement au prix adjugé, un bien, au détriment du meilleur enchérisseur. Dès lors qu’est-ce qui empêche l’état de se porter acquéreur, lors de la vente ou en amont à un prix négocié, cela se fait au Royaume Uni entre autre, plutôt que de confisquer sans dédommagement ? Comment monsieur P. peut-il prouver qu’il est légalement propriétaire de cette rare monnaie ?, alors que le grand-père de madame P., qui n’était pas collectionneur et n’avait qu’un bas de laine de monnaies modernes constitué pendant la première moitié du XXè siècle, avait certainement trouvé cette monnaie dans son jardin en plantant trois poireaux pour améliorer l’ordinaire de sa modeste soupe.

Faut-il à chaque succession, demander au notaire d’intégrer un bas de laine de monnaies démonétisées sous prétexte qu’il pourrait s’y trouver un « trésor national » d’une valeur historique inestimable, alors que l’on n’y connait rien et le notaire non plus ? Ridicule à mon sens, quand il ne s’agit pas d’une collection constituée de monnaies historiquement cohérentes, et donc sans grand intérêt.

Classer un bien « trésor national » n’est-il pas aussi un prétexte pour acquérir à titre gracieux des objets au détriment de son propriétaire légal ? Une leçon pour faire des économies, de façon douteuse en tout cas.

Cette façon de procéder fort peu cavalière envers la « France d’en bas » montre que la république n’est peut-être qu’une utopie et que nous vivons encore sous une monarchie déguisée. A méditer…

Conlusion :

Si vous collectionnez les monnaies modernes (post Révolution Française) vous n’avez que peu de chance d’être exposé comme monsieur P. à ce genre de mésaventure. Mais si les monnaies antérieures sont votre marotte, je vous conseille de conserver toutes les traces de la provenance de vos monnaies, car nous sommes nombreux à posséder des vraies raretés, absentes du fond de la BNF, et qui risquent de faire l’objet de la même procédure le jour où vous souhaiterez vendre. Sinon il reste la solution appliquée par des professionnels français, qui aujourd’hui organisent systématiquement leurs ventes aux enchères à l’étranger pour des raisons fiscales et légales aussi ; avec les accords européens, tout est possible…, ailleurs. Dans tous les cas, si vous n’avez pas d’enfant pour prendre la relève, vendez de votre vivant pour que vos héritiers ne soient pas mis au banc des accusés comme monsieur P.

Je vous laisse sur cette réflexion qui me partage entre colère et doutes.

1/- Pour info, depuis la chute de l’empire romain et jusque sous le règne des carolingiens, on ne frappait plus d’or, seul le métal argent avait cours, cependant l’atelier épiscopal d’Uzès a forger des solidus d’or au monogramme carolingien, pour concurrencer les monnaies islamiques forgées en Espagne toute proche, qui inondaient largement le marché économique du Languedoc, du Roussillon et du sud-ouest de l’empire de Charles le Grand.

2/- Cette mesure conservatoire a pour but de protéger les biens nationaux d’un intérêt historique inestimable, et éviter qu’ils ne soient acquis par des acheteurs étrangers, quittent le territoire français, et ne soient à jamais perdus pour la nation.

Le Club Numismatique de Mâcon

et sa Région

vous souhaite

de Bonnes fêtes de fin d’années.

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2 Réponses pour "Billet d’humeur"

  1. Oleg dit :

    Bonjour,

    je suis sans nouvelles, mais a priori, la situation semble être acquise ; la monnaie doit toujours être à la BNF, sans possibilité de recours ou d’indemnisation pour l’ancien propriétaire faute de pouvoir prouver ses dires.

    cordialement,

    Oleg

  2. Buthiaux dit :

    Bonjour,
    Merci pour cet article édifiant. L’effet, visible, est tout l’inverse de que la commande publique souhaite : grande collection française vendue depuis l’étranger, alimentation du marché noir, perte quasi systématique de matériel d’intérêt historique… Au contraire du royaume Uni par exemple.
    Avez vous eu des nouvelles de cette affaire depuis 2 ans ? Le propriétaire a-t-il au moins bénéficié de la moindre compensation ?

    Cordialement

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